Mesdames, Messieurs, avant même de vous remercier de votre présence ce soir, permettez-moi de bien vouloir excuser l’absence de Madame Simone Hilaire, ma mère, qui pour des raisons de santé regrette très sincèrement de ne pas être à nos côtés pour s’associer à l’hommage rendu ici à son mari, son compagnon de plus de soixante ans de vie. Lequel soyez-en assurés ne serait pas devenu le grand peintre que nous célébrons aujourd’hui sans le travail accompli par son épouse à ses côtés, des années noires de guerre, aux succès des dernières décennies.
Je souhaite qu’en son absence, elle soit ce soir fortement associée à cet hommage.
Beaucoup de talents ont contribué à la réussite de cet ambitieux projet : une exposition littéralement exceptionnelle en ses choix et parallèlement, la parution d’un ouvrage non moins remarquable de qualité, de précision. Je ne peux bien sûr, au nom de la mémoire de mon père, nommer toutes les personnes qui ont œuvré à cette réussite. Mais qu’elles en soient ici sûrement et chaleureusement remerciées.
Cependant, permettez-moi de saluer avec la considération qui lui est due Monsieur Philippe Leroy, sénateur de la Moselle et président du Conseil Régional, qui a soutenu ce projet avec l’efficacité qu’on lui connaît. De tout cœur, au nom de notre famille, merci Monsieur le sénateur.
Merci également à vous, Monsieur Denis Schaming, Directeur général adjoint du service général de la Moselle, d’avoir été un acteur très efficace depuis le tout début de ce projet d’exposition.
Que soit remercié chaleureusement ici, chez lui, le conservateur en chef de ce beau Musée, Monsieur Gabriel Diss qui, entre autre, comme par un heureux hasard est un spécialiste de Dürer, lequel était le maître suprême de l’artiste que nous célébrons ici. Ainsi que son adjoint Monsieur Laurent Thurhnerr pour son action efficace et le beau texte qu’il a consacré à « Hilaire et le vitrail » dans le catalogue de cette exposition.
Madame Marie Gloc, conservateur du patrimoine – madame vous travaillez à ressusciter un grand fresquiste Lorrain : Nicolas Untersteller ; il fut, vous le savez, le premier maître de mon père, son directeur à l’ENSBA , son ami, un familier. Merci très sincèrement de votre contribution à cette manifestation.
Restons dans les écrits: merci à nos amis Claude Weisbuch et Claude Goutin pour leur amicale intervention.
A Christophe Berteaux pour son étude sur « Hilaire et la Tapisserie » (également pour ses prêts généreux). Je ne peux bien sûr terminer sans saluer le beau travail érudit d’Henri Claude, auteur de l’ouvrage que vous découvrez ce soir.
L’édition de ce livre par Serge Domini fut le premier acte de cette pièce majeure. Serge, engagé par son énergie fit que ce qui n’était au départ qu’un projet réfléchi devienne avec le temps et son talent une fête hautement accomplie. Ce soir grâce à lui nous y participons.
Je n’oublie pas d’associer à ce projet notre ami Régis Dory qui décidément, a des bonnes idées.
Le temps qui m’est imparti ne me permet pas de citer tous les généreux préteurs qui sont à l’origine même de cette exposition : institutions, galeries, collectionneurs. Mais qu’ils en soient chaleureusement remerciés.
Je tiens à dire personnellement à Philippe Eschenlohr ma reconnaissance pour sa précieuse et généreuse implication dès l’origine du projet. Il y a plus de vingt ans que mon père nous a présenté, Philippe ; c’était à Cannes…
Enfin, je ne peux terminer ces remerciements sans saluer fraternellement le rôle efficace et essentiel joué par ma sœur Florence Cantié-Kramer. Merci d’avoir été là, Flo.
La dernière visite d’Hilaire en Lorraine, à Metz, remonte à novembre 2002. Comme très souvent je l’accompagnais. Il devait disparaître moins de deux années plus tard en juin 2004. En 2003, la Galerie Raugraff de Nancy lui consacre une exposition, Camille étant souffrant me charge de le représenter au vernissage, auquel je me rends avec mon épouse Edith. Il me souvient de lui avoir téléphoné lors de ce même vernissage pour l’assurer de la qualité de l’accrochage et du succès rencontré. Trois ans après sa disparition, toujours chez Philippe Eschenlohr, je reviens de nouveau le représenter. La galerie lui consacre alors un hommage particulier et me demande d’écrire la préface du catalogue. Ce jour-là je n’eus pas à téléphoner…
Mais ce soir en compagnie de ma sœur Florence et de mon neveu Olivier, d’Edith- mon autre sœur Pascale, pour raisons personnelles n’ayant pu se joindre à nous, je me sens moins seul pour évoquer ce « beau personnage » qu’était Camille Hilaire, comme l’écrit Claude Goutin.
Si j’ai évoqué ces dernières expositions en Lorraine, (je n’oublie pas l’exposition récente à Nancy organisée par Christophe Berteaux), c’est dans le dessein de rappeler que depuis sa disparition, Camille n’est pas vraiment maltraité par sa région d’origine. Nous assistons- là à un phénomène de révolution, une sorte de retour à la case départ. Bien que les œuvres d’Hilaire continuent à s’échanger ici et là dans beaucoup de galeries et dans les plus fameuses salles de vente internationales, c’est ici en Lorraine qu’un véritable travail de pérennité de l’œuvre du peintre s’accomplit : ici par la magnificence des accrochages, ailleurs habité par le souci de collecter les archives indispensables à la bonne intelligence d’une œuvre qui aura marqué son temps.
Grâce à internet nous pouvons surveiller une part de la destinée de l’œuvre. Je m’y emploie et veille parfois à exercer une certaine police nécessaire. Mais je n’ai plus vingt ans et nos descendants ne sont pas forcément forgés à cet exercice de contrôle et ont légitimement d’autres centres d’intérêts.
Or c’est en Lorraine que l’œuvre de mon père se manifeste au plus au point, suscite un intérêt vrai, pas nécessairement marchand. Si Hilaire a prospéré dans beaucoup de régions et de pays, c’est ici que s’exerce cette vigilance en sa continuité. Que ces acteurs du futur en soient remerciés aujourd’hui. Ceci n’est pas une assurance pour l’éternité, nous le savions avant que Paul Valéry nous en prévienne : toutes les civilisations sont mortelles, et par définition leurs productions. Mais, je me sens le devoir d’encourager ceux qui par passion, par intérêt économique, pourquoi pas ? hériteront de cette charge.
Ces quelques mots afin de vous assurer de notre reconnaissance tant la manifestation inaugurée ce soir s’avère heureuse à ce sujet : la postérité de l’œuvre de Camille Hilaire passera par la Lorraine ou ne passera pas.
En marge de l’essentiel : le regard que vous portez sur les oeuvres de mon père, je tiens à vous livrer un secret, une confidence ; votre présence ce soir les mérite. J’ai été longtemps – avec ma mère- le premier lecteur des textes écrits sur Camille. S’ils sont bien entendu inégaux, peu sont sans intérêt. Giono, Pierre Gascar, Félicien Marceau, André Parinaud, Pierre Cabanne, et à ce jour, Henri Claude, tous rendent compte d’un moment essentiel du travail accompli par Hilaire. Cependant, il reste posée une question à laquelle il n’est pas possible de répondre sans en avoir été le témoin direct: Comment Hilaire a-t-il trouvé son « écriture », son style, au-delà du néo-cubisme qu’il pratiquait? Celui qui lui a apporté le succès, celui qui fait qu’une de ses toiles se repère de très loin et se distingue toujours nettement de celles qui s’aventurent à ses côtés. Mais aussi que, contrairement à d’autres artistes de belle qualité de sa génération –disons figurative-, le succès rencontré par sa sa peinture perdure. Comment Hilaire est arrivé in fine à l’élaboration d’un style fait de séduction savante et qui défie le temps, se joue des générations? Une alchimie en sa réussite doit, sans doute, quelque peu au hasard- mais si peu-, à l’empirisme, très certainement…A un moment de sa peinture Hilaire n’est plus exactement le même peintre.
Le Cubisme, est, on le sait la plus grande révolution picturale entreprise depuis la Renaissance : la nature n’est plus le sujet, l’homme au centre de la représentation, mais c’est la peinture elle-même, dans son autonomie, dans son organisation mentale, sans référent à la logique du contemplé qui devient l’enjeu. Hegel l’avait pressenti : « ce que peint le peintre c’est la peinture elle-même ».
Hilaire, par nature, par goût de la rigueur a adopté le cubisme comme première école. S’il a su l’absorber souvent avec bonheur dans ses décorations – voire dans ses premières œuvres- il reste qu’il est à un moment de sa vie un « néo-cubiste ». Loin des fondateurs que nous connaissons et de leurs épigones immédiats: Metzinger, Gleize… Et j’imagine mon père s’interroger: toute peinture se nourrit du passé mais ne peut passer son temps à s’en nourrir…
Certains se souviennent de la violence de l’affrontement entre artistes figuratifs et non-figuratifs dans les années soixante. Un climat d’intolérance qui étonne encore : une guerre de religion. Au point qu’un abstrait ne parle pas, ne parle plus à un figuratif. Une ambiance délétère s’il en fut s’installa.
A Paris, le Salon des Peintres Témoins de leur Temps fait figure de citadelle assiégée peuplée d’attardés revendiquant par définition le réalisme via ses thèmes. En quelque sorte Camerone- l’héroïsme en moins ! Ensuite tout cela s’est fondu, confondu avec l’irruption heureuse des nouvelles figurations (analytique, critique, narrative…)
Certes, Hilaire est tenté par la voie abstraite : il admire des peintres tels Manessier, Bazaine, les paysagistes abstraits…
Mais il ne bascule pas dans la non-figuration : le regard insistant, aigu qu’il porte sur le spectacle du monde, de la nature et de ses beautés l’empêche de passer le Rubicon. Il avait coutume de dire : « il n’est pas poli de tourner le dos à la nature ».
A ce moment, Camille, en quelque sorte devait penser: je n’ai qu’une vie et ne vais pas la finir en néo-cubiste tardif.
Au milieu des années soixante, peu après l’acquisition d’une propriété dans l’Eure, près de Giverny ; la Normandie en son charme particulier, tout en subtilité, fait d’éblouissements, d’éclairages délicats de changements climatiques soudains, furtifs, accomplit son travail de séduction.
Notons que le peintre s’était alors déjà pas mal affranchi du néo-cubisme. Nous le voyons au tout début des années soixante, en particulier dans ses magnifiques toiles peintes en Italie : Ravenne, Chioggia, « Les padolènes » dépouillés alors de toute anecdote, flirtant avec l’abstraction dans ce qu’elle peut véhiculer de plus poétique – mais sans grand apport formaliste vraiment nouveau.
Vers 1965, nous sommes en famille à Bosc-Roger, sa maison en Normandie.
Coup de théâtre. Camille, après une journée de travail rejoint le dîner encore tout à son labeur : « j’ai trouvé quelque chose ! »… Il y avait de l’ « Euréka ! » dans cette exclamation. Il explique un peu, soliloque, il est tout à sa trouvaille. Après le dîner- l’atelier est tout proche- je vais voir. Des tableaux de grand format jonchent le sol, ce qui n’est pas habituel. J‘observe ce travail nouveau fait de taches jetées sur la toile. Loin d’être informelles, mais bien entendu, loin d’être encore suffisamment organisées, elles annoncent déjà par leur distribution quelque chose de l’impression que peut donner un paysage normand ; par exemple. Très vite, Camille saura intégrer cette liberté nécessaire à la charge poétique qu’il réclamait d’un tableau, mais aussi à la sûreté de sa composition.
Osons-le : ce fut la rencontre du Bateau-lavoir avec Giverny. Ce « tachisme » qui venait enchanter ses aplats, Camille le pratiquera jusqu’à la fin.
Le désordre dionysiaque est nécessaire à l’ordre apollinien. Ce qui pourrait être l’adage des Bacchantes d’Euripide me semble assez bien l’ illustrer : en leur fluidité, leurs stridences, leurs heureuses rencontres mais aussi en leurs tailles diverses, ces taches dûment maîtrisées, contribueront à hystériser cette peinture impeccable née d’un ordre trop strict. A ce moment, Hilaire en s’approchant de lui-même, en s’éloignant des écoles surannées, s’est rapproché de nous, de notre désir de volupté en ses incessantes mutations.
Et aujourd’hui, au-delà des modes, des caprices d’un marché inepte, du financial Art, des spéculations obscènes, voici s’exposer près de nous un art affirmé, fragile comme une production humaine mais fort de certitudes en l’exercice de son métier admirable.
Merci.
Hastaire
Claude Hilaire-Hastaire au bar de l'Hôtel Normandy à Deauville
Décembre 2008
Photo : Christophe Berteaux
Je souhaite qu’en son absence, elle soit ce soir fortement associée à cet hommage.
Beaucoup de talents ont contribué à la réussite de cet ambitieux projet : une exposition littéralement exceptionnelle en ses choix et parallèlement, la parution d’un ouvrage non moins remarquable de qualité, de précision. Je ne peux bien sûr, au nom de la mémoire de mon père, nommer toutes les personnes qui ont œuvré à cette réussite. Mais qu’elles en soient ici sûrement et chaleureusement remerciées.
Cependant, permettez-moi de saluer avec la considération qui lui est due Monsieur Philippe Leroy, sénateur de la Moselle et président du Conseil Régional, qui a soutenu ce projet avec l’efficacité qu’on lui connaît. De tout cœur, au nom de notre famille, merci Monsieur le sénateur.
Merci également à vous, Monsieur Denis Schaming, Directeur général adjoint du service général de la Moselle, d’avoir été un acteur très efficace depuis le tout début de ce projet d’exposition.
Que soit remercié chaleureusement ici, chez lui, le conservateur en chef de ce beau Musée, Monsieur Gabriel Diss qui, entre autre, comme par un heureux hasard est un spécialiste de Dürer, lequel était le maître suprême de l’artiste que nous célébrons ici. Ainsi que son adjoint Monsieur Laurent Thurhnerr pour son action efficace et le beau texte qu’il a consacré à « Hilaire et le vitrail » dans le catalogue de cette exposition.
Madame Marie Gloc, conservateur du patrimoine – madame vous travaillez à ressusciter un grand fresquiste Lorrain : Nicolas Untersteller ; il fut, vous le savez, le premier maître de mon père, son directeur à l’ENSBA , son ami, un familier. Merci très sincèrement de votre contribution à cette manifestation.
Restons dans les écrits: merci à nos amis Claude Weisbuch et Claude Goutin pour leur amicale intervention.
A Christophe Berteaux pour son étude sur « Hilaire et la Tapisserie » (également pour ses prêts généreux). Je ne peux bien sûr terminer sans saluer le beau travail érudit d’Henri Claude, auteur de l’ouvrage que vous découvrez ce soir.
L’édition de ce livre par Serge Domini fut le premier acte de cette pièce majeure. Serge, engagé par son énergie fit que ce qui n’était au départ qu’un projet réfléchi devienne avec le temps et son talent une fête hautement accomplie. Ce soir grâce à lui nous y participons.
Je n’oublie pas d’associer à ce projet notre ami Régis Dory qui décidément, a des bonnes idées.
Le temps qui m’est imparti ne me permet pas de citer tous les généreux préteurs qui sont à l’origine même de cette exposition : institutions, galeries, collectionneurs. Mais qu’ils en soient chaleureusement remerciés.
Je tiens à dire personnellement à Philippe Eschenlohr ma reconnaissance pour sa précieuse et généreuse implication dès l’origine du projet. Il y a plus de vingt ans que mon père nous a présenté, Philippe ; c’était à Cannes…
Enfin, je ne peux terminer ces remerciements sans saluer fraternellement le rôle efficace et essentiel joué par ma sœur Florence Cantié-Kramer. Merci d’avoir été là, Flo.
La dernière visite d’Hilaire en Lorraine, à Metz, remonte à novembre 2002. Comme très souvent je l’accompagnais. Il devait disparaître moins de deux années plus tard en juin 2004. En 2003, la Galerie Raugraff de Nancy lui consacre une exposition, Camille étant souffrant me charge de le représenter au vernissage, auquel je me rends avec mon épouse Edith. Il me souvient de lui avoir téléphoné lors de ce même vernissage pour l’assurer de la qualité de l’accrochage et du succès rencontré. Trois ans après sa disparition, toujours chez Philippe Eschenlohr, je reviens de nouveau le représenter. La galerie lui consacre alors un hommage particulier et me demande d’écrire la préface du catalogue. Ce jour-là je n’eus pas à téléphoner…
Mais ce soir en compagnie de ma sœur Florence et de mon neveu Olivier, d’Edith- mon autre sœur Pascale, pour raisons personnelles n’ayant pu se joindre à nous, je me sens moins seul pour évoquer ce « beau personnage » qu’était Camille Hilaire, comme l’écrit Claude Goutin.
Si j’ai évoqué ces dernières expositions en Lorraine, (je n’oublie pas l’exposition récente à Nancy organisée par Christophe Berteaux), c’est dans le dessein de rappeler que depuis sa disparition, Camille n’est pas vraiment maltraité par sa région d’origine. Nous assistons- là à un phénomène de révolution, une sorte de retour à la case départ. Bien que les œuvres d’Hilaire continuent à s’échanger ici et là dans beaucoup de galeries et dans les plus fameuses salles de vente internationales, c’est ici en Lorraine qu’un véritable travail de pérennité de l’œuvre du peintre s’accomplit : ici par la magnificence des accrochages, ailleurs habité par le souci de collecter les archives indispensables à la bonne intelligence d’une œuvre qui aura marqué son temps.
Grâce à internet nous pouvons surveiller une part de la destinée de l’œuvre. Je m’y emploie et veille parfois à exercer une certaine police nécessaire. Mais je n’ai plus vingt ans et nos descendants ne sont pas forcément forgés à cet exercice de contrôle et ont légitimement d’autres centres d’intérêts.
Or c’est en Lorraine que l’œuvre de mon père se manifeste au plus au point, suscite un intérêt vrai, pas nécessairement marchand. Si Hilaire a prospéré dans beaucoup de régions et de pays, c’est ici que s’exerce cette vigilance en sa continuité. Que ces acteurs du futur en soient remerciés aujourd’hui. Ceci n’est pas une assurance pour l’éternité, nous le savions avant que Paul Valéry nous en prévienne : toutes les civilisations sont mortelles, et par définition leurs productions. Mais, je me sens le devoir d’encourager ceux qui par passion, par intérêt économique, pourquoi pas ? hériteront de cette charge.
Ces quelques mots afin de vous assurer de notre reconnaissance tant la manifestation inaugurée ce soir s’avère heureuse à ce sujet : la postérité de l’œuvre de Camille Hilaire passera par la Lorraine ou ne passera pas.
En marge de l’essentiel : le regard que vous portez sur les oeuvres de mon père, je tiens à vous livrer un secret, une confidence ; votre présence ce soir les mérite. J’ai été longtemps – avec ma mère- le premier lecteur des textes écrits sur Camille. S’ils sont bien entendu inégaux, peu sont sans intérêt. Giono, Pierre Gascar, Félicien Marceau, André Parinaud, Pierre Cabanne, et à ce jour, Henri Claude, tous rendent compte d’un moment essentiel du travail accompli par Hilaire. Cependant, il reste posée une question à laquelle il n’est pas possible de répondre sans en avoir été le témoin direct: Comment Hilaire a-t-il trouvé son « écriture », son style, au-delà du néo-cubisme qu’il pratiquait? Celui qui lui a apporté le succès, celui qui fait qu’une de ses toiles se repère de très loin et se distingue toujours nettement de celles qui s’aventurent à ses côtés. Mais aussi que, contrairement à d’autres artistes de belle qualité de sa génération –disons figurative-, le succès rencontré par sa sa peinture perdure. Comment Hilaire est arrivé in fine à l’élaboration d’un style fait de séduction savante et qui défie le temps, se joue des générations? Une alchimie en sa réussite doit, sans doute, quelque peu au hasard- mais si peu-, à l’empirisme, très certainement…A un moment de sa peinture Hilaire n’est plus exactement le même peintre.
Le Cubisme, est, on le sait la plus grande révolution picturale entreprise depuis la Renaissance : la nature n’est plus le sujet, l’homme au centre de la représentation, mais c’est la peinture elle-même, dans son autonomie, dans son organisation mentale, sans référent à la logique du contemplé qui devient l’enjeu. Hegel l’avait pressenti : « ce que peint le peintre c’est la peinture elle-même ».
Hilaire, par nature, par goût de la rigueur a adopté le cubisme comme première école. S’il a su l’absorber souvent avec bonheur dans ses décorations – voire dans ses premières œuvres- il reste qu’il est à un moment de sa vie un « néo-cubiste ». Loin des fondateurs que nous connaissons et de leurs épigones immédiats: Metzinger, Gleize… Et j’imagine mon père s’interroger: toute peinture se nourrit du passé mais ne peut passer son temps à s’en nourrir…
Certains se souviennent de la violence de l’affrontement entre artistes figuratifs et non-figuratifs dans les années soixante. Un climat d’intolérance qui étonne encore : une guerre de religion. Au point qu’un abstrait ne parle pas, ne parle plus à un figuratif. Une ambiance délétère s’il en fut s’installa.
A Paris, le Salon des Peintres Témoins de leur Temps fait figure de citadelle assiégée peuplée d’attardés revendiquant par définition le réalisme via ses thèmes. En quelque sorte Camerone- l’héroïsme en moins ! Ensuite tout cela s’est fondu, confondu avec l’irruption heureuse des nouvelles figurations (analytique, critique, narrative…)
Certes, Hilaire est tenté par la voie abstraite : il admire des peintres tels Manessier, Bazaine, les paysagistes abstraits…
Mais il ne bascule pas dans la non-figuration : le regard insistant, aigu qu’il porte sur le spectacle du monde, de la nature et de ses beautés l’empêche de passer le Rubicon. Il avait coutume de dire : « il n’est pas poli de tourner le dos à la nature ».
A ce moment, Camille, en quelque sorte devait penser: je n’ai qu’une vie et ne vais pas la finir en néo-cubiste tardif.
Au milieu des années soixante, peu après l’acquisition d’une propriété dans l’Eure, près de Giverny ; la Normandie en son charme particulier, tout en subtilité, fait d’éblouissements, d’éclairages délicats de changements climatiques soudains, furtifs, accomplit son travail de séduction.
Notons que le peintre s’était alors déjà pas mal affranchi du néo-cubisme. Nous le voyons au tout début des années soixante, en particulier dans ses magnifiques toiles peintes en Italie : Ravenne, Chioggia, « Les padolènes » dépouillés alors de toute anecdote, flirtant avec l’abstraction dans ce qu’elle peut véhiculer de plus poétique – mais sans grand apport formaliste vraiment nouveau.
Vers 1965, nous sommes en famille à Bosc-Roger, sa maison en Normandie.
Coup de théâtre. Camille, après une journée de travail rejoint le dîner encore tout à son labeur : « j’ai trouvé quelque chose ! »… Il y avait de l’ « Euréka ! » dans cette exclamation. Il explique un peu, soliloque, il est tout à sa trouvaille. Après le dîner- l’atelier est tout proche- je vais voir. Des tableaux de grand format jonchent le sol, ce qui n’est pas habituel. J‘observe ce travail nouveau fait de taches jetées sur la toile. Loin d’être informelles, mais bien entendu, loin d’être encore suffisamment organisées, elles annoncent déjà par leur distribution quelque chose de l’impression que peut donner un paysage normand ; par exemple. Très vite, Camille saura intégrer cette liberté nécessaire à la charge poétique qu’il réclamait d’un tableau, mais aussi à la sûreté de sa composition.
Osons-le : ce fut la rencontre du Bateau-lavoir avec Giverny. Ce « tachisme » qui venait enchanter ses aplats, Camille le pratiquera jusqu’à la fin.
Le désordre dionysiaque est nécessaire à l’ordre apollinien. Ce qui pourrait être l’adage des Bacchantes d’Euripide me semble assez bien l’ illustrer : en leur fluidité, leurs stridences, leurs heureuses rencontres mais aussi en leurs tailles diverses, ces taches dûment maîtrisées, contribueront à hystériser cette peinture impeccable née d’un ordre trop strict. A ce moment, Hilaire en s’approchant de lui-même, en s’éloignant des écoles surannées, s’est rapproché de nous, de notre désir de volupté en ses incessantes mutations.
Et aujourd’hui, au-delà des modes, des caprices d’un marché inepte, du financial Art, des spéculations obscènes, voici s’exposer près de nous un art affirmé, fragile comme une production humaine mais fort de certitudes en l’exercice de son métier admirable.
Merci.
Hastaire
Claude Hilaire-Hastaire au bar de l'Hôtel Normandy à Deauville
Décembre 2008
Photo : Christophe Berteaux